L’enfant se penche et, dans sa menotte malhabile, emprisonne une poignée de boue compacte. Très intéressé, il contemple, gravement, l’empreinte de ses doigts menus, la forme ronde et douce qui s’est moulée au creux tendre de ses paumes. Il ne connaît pas le mot malléable. Mais d’instinct, il découvre le verbe «modeler». Et s’il modelait un bonhomme? Une petite boule pour la tête, une plus grosse pour le corps. Ca ne tient pas très bien, même pas du tout, mais c’est grisant.
«Regarde comme tu te salis» lui dit sa mère, qui a perdu depuis trop longtemps l’innocente pulsion du geste. Il ne se salit pas: il découvre, en une seule révélation, la matière première en son sens propre «materia prima» et l’acte créateur. Il découvre, ne sait pas que depuis la nuit des temps, ce geste premier se répète chez toutes les peuplades de la terre.
Aussi, où que l’on porte le regard, la terre est là, à nos origines, dans notre culture, dans la nature… Elle nous entoure, nous fascine et nous invite généreusement au contact. L’homme a pu, grâce à la technique, figer cette «terre matière». Du mou, du fluide, de l’humide, il peut faire du sec, du rigide, du solide, du coloré, de l’utile… Comme pour imprimer un peu sa mémoire dans cette masse qui n’en n’a pas et qui les a toutes, puisqu’elle est commencement et fin…
Alors il se fait alchimiste. Il introduit un nouvel élément, le feu. Feu du soleil ou feu du four, mais en tous cas, symbole puissant, masculin et actif, qui va chasser l’eau, rendre impossible le retour au fluide et au mouvant de l’origine, à l’humide, principe féminin. A la terre active, succède ainsi l’objet de terre.
C’est cet objet qui sera la mémoire du monde, des croyances, qui sera le témoin des civilisations. C’est lui qui nous dit que toute terre façonnée, qu’elle soit simple poterie de la vie quotidienne, sculpture, modeste argile cuite au soleil ou statuette primitive, recèle une part de magie, un fragment de nos plus anciens souvenirs, un élément de notre genèse.
Et c’est cela que retrouvent ensemble, d’une même démarche instinctive, les enfants de l’atelier et les enseignants, toute personne qui ose tenter le retour à la créativité innée en chacun de nous, enfouie souvent au plus profond et pourtant source de joie et de douceur… Les uns sont très jeunes, d’autres, moins jeunes, ont un degré d’évolution, un cheminement différent, une distance, des intentions ailleurs…
Ici, la plupart travaillent à partir de la matière même. En poudre, liquide, en motte, molle, plus ferme, lisse, chamottée, blanche, rouge, noire, grise… Chacun l’appréhende à sa manière, sur le tour, la modèle, la bat, la pétrit, la caresse doucement ou la rend lisse comme un miroir et d’une douceur infinie…. Chacun avec son histoire, sa sensibilité, ses envies de l’instant. La terre se donne et redonne à l’infini, sèche, on l’humidifie, humide, en la met à sécher. L’essentiel est dans le respect qu’on lui porte, l’attention au geste, le reste ne nous appartient pas…
Ce qui nous réunit tous, c’est la matière de la terre. Certains partent d’elle, d’autres s’en servent… Certains laissent naître ce qui peut venir, d’autres ont une intention… Certains la dirigent, d’autres la laissent aller là où elle a envie….
L’approche du matériau
Le plus important dans une démarche d’animation avec des enfants, c’est de les mettre à l’écoute du matériau par une expérimentation concrète. Plus ils auront d’attention profonde à ses possibilités de réaction (changement de textures, de couleurs, de consistance…), plus ils amèneront de propositions.
Le thème n’est pas obligatoire, c’est l’observation qui va progressivement l’amener. Qu’il soit un état, une émotion, un sentiment, un souvenir…. Ainsi, la sensibilisation au matériau peut servir de point de départ à la création plastique.
La connaissance dues origines du matériau est essentielle. Il s’agit de restituer dans son environnement naturel la terre emballée sous plastique. Trop souvent, dans leur vie quotidienne, nous sommes confrontés à des objets conditionnés qui ne livrent plus rien de leur origine. Parler de la terre, c’est évoquer les champs labourés, les chantiers dont la terre est éventrée au bulldozer, les carrières à ciel ouvert, les talus, le fond du jardin… Pourquoi ne pas réserver un coin de l’atelier à une reconstitution?
Après, vient la connaissance de la portée symbolique de l’élément «terre». Ce n’est pas un matériau comme un autre, nous en sortons, nous y revenons…
D’où un cheminement d’animations proposé:
Reconstituer le cycle des métamorphoses auxquelles est soumise la terre sous l’influence des différents éléments: L’air, l’eau, le feu.
1)- Utiliser de la terre liquide par souci de laisser vivre le matériau, en apprenant à provoquer et à exploiter ses réactions, ses hasards. La barbotine ne demande qu’une intervention partielle de l’enfant: il ne peut ni la modeler, ni la façonner et ne cherche pas à reproduire. On peut la faire couler sur différents supports, la faire réagir à l’aide de vinaigre, par exemple, pour former des cratères, tremper à l’intérieur des cordes, du tissu pour faire des drapés, faire couler plusieurs couleurs l’une à coté de l’autre pour former des dessins, des paysages…..
2)- Avoir une approche de la masse à partir de la terre en pain: elle se modèle, s’associe à toutes sortes de matériaux (sable, cailloux, paille, terre brute, terre cuite broyée…)
A ce stade là, un rapprochement de formes observées au départ peut donner naissance à des aspects fabuleux en cherchant des correspondances visuelles et tactiles avec des formes de la nature: des plissés de grottes, des reliefs muraux de parois, des jeux de lumière, des fonds sous marins… La collecte de matériaux naturels tels que des écorces, des bois, racines, des pierres, des plantes… et de les utiliser comme des outils est une façon de laisser au coeur de la terre la trace de l’instant, du paysage environnant, de l’émotion ressentie devant la beauté d’un élément…
3)- Des opérations de surfaçage peuvent faire varier les aspects et les couleurs de la terre. Un engobage, par exemple, par pulvérisation de terres de couleurs différentes, permet d’obtenir des coloris très divers et très proches de notre environnement naturel. Le grattage permet de faire venir à la surface le grain de la terre, le polissage permet une matière d’une douceur incroyable…. A l’aide des émaux, il est également possible de varier à l’infini et de reproduire des éléments naturels tels que le quartz, le verre, certaines roches… L’émail n’est-il pas lui même un dérivé direct de la nature? Il est composé de silice, de feldspaths, tout comme l’argile elle même et dans une simple cendre, on le retrouve tout entier. Là aussi, tout est possible…
A cette démarche, on peut rajouter la cuisson.
Feu magique, feu mystérieux, feu révélateur qui nous permettra de découvrir un univers fabuleux et imprévisible.
Car tout peut changer à la cuisson. A quelques dizaines de degrés près, tout est différent, merveilleux ou décevant, mais de toute façon surprenant. Et c’est là que, du créateur, naît l’alchimiste… Mélanger les poudres, créer de nouveaux effets, transfigurer la matière…
Pour cela, un four est nécessaire. Pas forcément un four traditionnel, peut-être un four fabriqué par les enfants eux-mêmes, d’argile et de briques, démontable à chaque cuisson, ou un trou dans un talus, ou un foyer à même le sol, ou encore un four primitif pour retrouver la trace de nos ancêtres? Le support de cuisson importe peu, le feu est le transformateur de l’argile en terre cuite, on lui confie nos instants, nos rêves, nos joies, nos peines et comme par enchantement, la matière se transforme complètement pour devenir solide, irréversible. Avec le feu, le point de non retour de la terre molle et malléable est dépassé. Là encore, tout est possible. Le but, dans ce cheminement est de réunir les éléments principaux de notre vie,
La terre, l’eau, l’air, le feu
Ce n’est pas tant le résultat qui compte, mais l’expérience. Qui a parcouru ce chemin ne pourra pas oublier les phases successives qu’il a traversé. On arrive «tous neufs» devant la matière, puis on fait connaissance. Un lien se crée, l’intérêt grandit et on ne peut plus arrêter ce qui se passe. La curiosité s’accroît, on a envie d’aller plus loin, de pousser la matière à se donner encore et encore plus, de se donner à elle, de la suivre dans ses caprices, de se laisser entraîner dans des lieux inconnus où tout est possible. On se sent comme irrésistiblement attirés par cette matière qui nous envoûte et dont on ne percera jamais le secret. La terre est et restera toujours un des mystères de la création et c’est parce qu’elle reste un mystère qu’elle nous donne d’avantage.
La terre est une belle histoire d’Amour